PROJET WHO ? | Fred Vanet |
Sophie Hébert - Peux-tu nous retracer ton parcours artistique en quelques lignes ?
Fred Vanet - Assez classique finalement… Je n’ai rien choisi, c’est un métier qui m’est tombé dessus. J’écrivais mes premières chansons vers 10 ans et je les chantais devant la classe, tout seul, sans musique chaque vendredi en fin d’après midi. En y repensant, je me souviens de flipper comme un malade et d’être très mal à l’aise. Rien ne m’obligeait à faire ça, mais je devais le faire. Puis break jusqu’au lycée. Rencontre avec un pote. On aime la musique. On se met à la guitare tous les deux. Premières « vraies » chansons écrites avec cette fois-ci une guitare en accompagnement. Ensemble on progresse. Projets jamais réalisés avec lui mais pied à l’étrier… Fin d’études… Galères, temps libre et je rejoins un groupe de rock. Pas longtemps mais riche expérience ! J’ai appris en quelques mois tout ce qu’il ne faut surtout pas faire… En parallèle je deviens objecteur de conscience au théâtre de Beaune et découvre les métiers artistiques pros… On peut en vivre ! Je deviens régisseur intermittent du spectacle… Puis la chanson française comme évidence. Je ne trouve rien alors je crée mon propre écrin. Une ébauche de groupe qui dure un an et fait ses premiers concerts… sur ce qui reste à la fin, je monte Rive gauche en 1997 avec des potes qui me rejoignent. Premières répétitions en janvier et premier concerts en juin… Je crée ma compagnie JAMM (Jeannette Aux Mains Mignonnes) en 2008 pour passer musicien professionnel… Je rejoins d’autres compagnies où je découvre le cirque de rue, les spectacles pour enfants, la magie… Mais toujours Rive gauche en activité principale… Des potes nous rejoignent, d’autres s’en vont, mais le groupe ne s’est jamais arrêté depuis… Plus de 300 concerts à ce jour, 5 albums produits par notre label, 2 spectacles pour enfants, des collaborations, des rencontres, des projets par-dessus la tête…
Sophie Hébert - Un album de chansons paillardes... Pour quoi faire ? Rire les gens ? Provoquer ? Attirer l'oreille ?
Fred Vanet - L’idée est venue après la sortie de notre troisième album « COUAH ? » réalisé avec Line Kiâé pour les enfants en 2006… Pourquoi pas un jour un album pour les adultes ? Nous écoutions souvent les « Frères Jacques » ou « Les Quatre barbus »… La chanson paillarde nous plaisait vraiment. Il y a de vrais petits bijoux d’écriture. Comme nous avions une très haute opinion de nous-mêmes (il en faut dans ce boulot !) et que la chanson française n’a pas de secret pour nous, on s’est dit chiche ! Comme j’écris les textes de Rive gauche depuis le début et que nous ne voulions pas de reprises mille fois entendues, j’ai proposé à mes collègues de m’y coller pour voir si ça leur plaisait… Et ça leur a plu ! 13 titres que nous avons arrangés ensuite avec des invités (féminines surtout !)… On a pris notre temps, sorti un autre album entre temps de chansons « normales », « Des pissenlits par la racine » et voici « ANNUS VOLUBILIS » qui vient de sortir en avril 2014… 13 titres de chansons paillardes originales avec livret illustré. Alors pour provoquer ? Sûrement un peu… Faire rire ? Sûrement beaucoup… Mais surtout se marrer entre nous… Et progresser. Car l’exercice est extrêmement difficile ! J’ai longtemps cru que la chanson pour enfant était la plus difficile à écrire, mais celle-ci !... On ne dit pas les pires horreurs sans qu’elles soient amenées d’une certaine façon. Il y a des codes… Attirer l’oreille ? Je l’espère plus que tout !!! Et que les gens prennent autant de plaisir à écouter ce disque que nous à le réaliser…
Sophie Hébert - Tu es intermittent du spectacle... Des commentaires sur la situation des intermittents telle qu'elle se présente actuellement ?
Fred Vanet - Petite remarque pour commencer… Intermittent n’est pas et ne sera jamais un métier… Nous sommes régisseurs son, lumière, accessoiristes, poursuiteur, musiciens, comédiens… Plutôt que de faire des commentaires je vais expliquer ce que je fais tous les jours. Des tonnes de mails, de coups de téléphones, de CDs envoyés, de contacts pris, de lieux à visiter… Des centaines de demandes pour n’avoir qu’une poignée parfois de trucs qui peuvent vraiment déboucher sur un concert… et souvent sur rien du tout… Faire face à tous ces refus, parce que ce n’est pas le style, y a pas de sous, ce n’est pas la période, une semaine trop tard, ou trop tôt, j’ai trouvé un autre groupe qui vient gratuitement… il faut garder un certain moral… Et garder aussi des contacts plus concrets. Quelques régies dans un théâtre qui font rentrer quelques sous. Donc on recommence les appels, les mails… On décroche quelques jours de boulot qui font respirer un peu. Et on recherche des concerts. Et puis de la pub, des affiches, de la comm', des photos, des vidéos… Quelques émissions de radio si on a de la chance… Des kilomètres à se taper en voiture ou en camion inconfortable. Des tonnes de matériel qu’on charge, qu’on décharge… Parfois à l’autre bout de la France pour 20 personnes qui n’écoutent par forcément… L’esprit n’est jamais tranquille. Avec ce statut il faut savoir qu’on ne voit jamais plus loin qu’un an. Je ne parle même pas d’obtenir un crédit. Pas de week-end, de jour férié… Des vacances, si on peut, mais en dehors des périodes de tout le reste du monde… Et je ne suis qu’actif aux yeux des gens que quand je suis en concert ! Le reste, ce que je viens de citer, c’est pendant mes périodes de chômages… Savoir aussi, pour nos détracteurs, que nos charges sont les plus élevées de France. 57 % de tout ce que gagne une compagnie part en cotisations salariales et patronales. Et nous sommes des privilégiés ! Franck Halimi que je salue pour son combat à nos côtés expliquerait tout ça mieux que moi (d’ailleurs invite le Sophie !) Voilà en gros ce que je fais tous les jours… Ah non j’oubliais ! Quand il me reste un peu de temps, j’ai juste les quelques instruments que je pratique à sortir un peu de leur boite. Avoir des idées de chansons, de textes, d’arrangements, de costumes, de décors… Prendre un papier et un stylo, travailler tout ça… Mettre en place de nouvelles chansons pour un futur nouvel album… Car avec tout ça il faut avancer… Si l’on n’avance pas, le public si dur à trouver, vous oublie très vite… Si vraiment il reste du temps, il parait que certains « intermittents » ont une famille, des enfants, des amis, des loisirs… Donc en conclusion, je déconseille ce métier à tous, tout en affirmant que c’est le meilleur du monde et que pour rien au monde je ne ferais autre chose ! Je pourrais écrire 20 paragraphes comme celui-là pour en décrire les trucs extraordinaires et inoubliables que ce métier m’a fait connaître… C’est pour ça aussi qu’on continuera à se battre pour le maintien de nos métiers du spectacle vivants et de la culture ! Et qu’accessoirement, j’emmerde le MEDEF et tous ces gens pour qui nous sommes des parasites, mais qui font partie du public des soirées théâtre ou opéra que des gens comme moi ont installées pendant trois jours pour eux…
Sophie Hébert - « Pourquoi les veilleurs de nuit n’ont jamais de pollution nocturne ? »
Fred Vanet - L’absurde ! J’adore ! Les aphorismes, les petites phrases, les non-sens… A partir de cette phrase, je pourrais écrire une chanson, un court métrage, une nouvelle… L’imagination s’emballe… Là le sujet est scabreux mais ce n’est pas ça qui compte. Des mots à inventer. Pollution diurne ? Jamais entendu, mais pourquoi pas ? Des situations, des personnages peuvent prendre naissance et inspirer… Une nouvelle chanson paillarde ! Je vous en refile une de Gainsbourg : « L’amour est aveugle… et sa canne est rose » Joli non ? … Ces phrases contiennent tout un univers à exploiter. Une autre trouvée je ne sais où et de je ne sais qui (je ne résiste pas !) : « Quand l’homme à découvert que la vache faisait du lait, que cherchait-il exactement à faire à ce moment-là ? » … On voit tous les petits engrenages du cerveau qui se mettent en marche… Je prends souvent, en fait presque à chaque fois, l’inspiration et le titre de la chanson dans un tout petit truc comme ça. Comme un sculpteur avec son bloc de pierre. La statue est déjà à l’intérieur. Le sculpteur ne la crée pas. Il la cherche et la trouve. Ou pas. C’est la même chose ici. La chanson existe déjà quand j’en ai l’idée à travers les biais de mots, d’expressions, de situations… Il faut juste tailler ce qui gène et elle fini par apparaître… D’abord grossière. Puis on change d’outil, on affine, on fignole, on polit, on fait briller… Et voilà ! Enfin pas tout à fait… La chanson n’est vraiment finie que quand elle touche à son but : être jouée et entendue par le public ! Comme le violon prend naissance avec l’archet qui le touche… C’est Rimbaud ou Ferré qui disait ça ?
Mai 2014