PROJET WHO ?

Jeremy Pinheiro

Sophie Hébert – Directeur du C2, vocation ou opportunité ?

Jérémy Pinheiro - Je n’aurais pas la prétention de dire que devenir directeur d’un Centre Culturel à l’âge de 28 ans soit une vocation. Je n’avais même jamais osé imaginer que cela arrive avant même de parapher le bas de mon premier contrat pour être à la tête de ce lieu.

J’ai eu un parcours assez atypique, comme bon nombre de mes collègues directeur d’établissement. J’ai passé un bac ES au Creusot au début des années 2000, puis, comme beaucoup de jeunes, ne sachant pas du tout ce que je souhaitais faire de ma vie, j’ai emprunté un chemin de facilité, notamment financier en m’inscrivant à l’IUT Techniques de Commercialisation au Creusot. De là, j’ai découvert le monde de la culture en intégrant au cours de mes stages et de mes expériences bénévoles le service relations publiques de l’ARC, scène nationale du Creusot. Mon DUT en poche, j’ai eu la chance d’intégrer l’IUP Denis Diderot à Dijon, dirigé à l’époque par Claude Patriat. Cette école fut LE tremplin. Premières expériences associatives, premiers jobs dans le domaine culturel à l’association AdKamera, aujourd’hui gestionnaire de la Cinémathèque de Bourgogne reconnue par la FIAF et finalement premiers pas dans ce métier, cette passion… Pourquoi je précise le nom du directeur de cette école ? Car il nous a donné une certaine vision de nos futurs métiers et de notre rôle à l’intérieur de ceux-ci. Sortir du cadre conventionnel et du formatage, apanage de certaines formations libérant nos futures élites culturelles…

Ce parcours IUPiens et associatif a forgé en moi une certaine notion des politiques culturelles et de l’intérêt que ces projets pouvaient engendrer en terme social et humain. Idées que l’on souhaite développer au sein de ce grand bateau qu’est le C2. J’ai pris la barre de ce bateau un peu par hasard. Hasard déclenché en me rendant avec culot auprès de Monsieur le Maire pour m’intéresser à ce beau bâtiment qu’il était en train de construire : « Jeune homme, vous sauvez ma matinée ! ». Une phrase ancrée dans ma mémoire et point de départ de ce projet qui dure depuis bientôt 5 ans maintenant.

Sophie Hébert – Je trouve que les projets artistiques que tu développes au C2 sont d'une grande pertinence humaniste par les temps qui courent... Peux-tu les présenter ici ?

Jérémy Pinheiro - En fait, nous avons souhaité positionner au cœur du projet l’Humain. Je précise avec un « H » majuscule car nous tâchons de prendre en compte toutes les diversités que ce mot peut englober et d’offrir par conséquence une diversité toute aussi proportionnelle de projets artistiques. L’idée est donc de concevoir les projets programmés au sein du C2, aussi bien en terme de diffusion que d’éducation artistique comme des outils. Ils permettent alors aux divers publics y participant de se rencontrer, d’échanger tout en se divertissant.

La rencontre est avant tout au centre du projet. Dans cette société individualiste et de plus en plus virtuelle, il est important que la Culture, au même titre que l’éducation, favorisent l’échange et le vivre ensemble. Pour être plus concret, nous allons donc favoriser les rencontres entre le public et les artistes à la suite des spectacles pour discuter ensemble du ressenti et de ce que l’on vient de découvrir sur le plateau. Réaliser des projets collaboratifs comme des expositions en lien avec l’accueil d’artistes en résidence de création sur le plateau du C2.

Nous tâchons également de permettre à tous d’avoir accès à la culture, tant par le divertissement que par la pratique en favorisant des projets d’actions artistiques en direction de public en situation de handicap, en rupture avec les normes de notre société contemporaine mais en n’étant pas non plus sur des actions stigmatisantes car celles-ci sont ouvertes à tous, dans un esprit de mixité.

Enfin, pourquoi ce projet « humaniste » comme tu le suggères ? Tout simplement car nous travaillons dans le spectacle vivant. Vivant ! Des projets développés par des êtres humains en direction d’autres êtres humains. Nous sommes simplement un cordon, un liant, une passerelle entre deux mondes qui souvent s’ignorent mais qui partagent énormément de choses.

Sophie Hébert – Ta discrétion et ton calme ne doivent pas tromper, je pense. Des éléments d'indignation culturelle en ce début d'année 2015 ?

Jérémy Pinheiro - Je ne saurais être prolixe sur ce sujet car je ne saurais où commencer et où m’arrêter. Le système culturel français nous est envié dans beaucoup de pays mais l’orientation que ce dernier est en train de prendre me (nous) fait peur… Sommes-nous en train d’assister à la fin de ce système ? Devons-nous prendre les devants et inventer de nouveau schéma de fonctionnement ? Lorsque l’on voit les théâtres fermés, les festivals annulés, les programmations prises en main par les politiques, les directeurs remis en cause par leurs tutelles… cela me pose question ! Battons-nous pour conserver la force de notre offre culturelle et de sa diversité !

Sophie Hébert - Pourquoi avoir choisi C2 comme nom pour ce lieu ?

Jérémy Pinheiro - Ce nom nous est venu un peu naturellement. Je dis nous car je souhaite mettre en avant ici notre graphiste, ami et créateur de cette dénomination caméléon qu’est Franck Juillot, maintenant directeur de sa propre boite : « Ambigram ».

Nous avions au départ un défi : Proposer à la ville trois noms parmi lesquels les élus devaient choisir celui qui allait devenir celui du Centre Culturel.

Or, nous avons décidé de tout proposer sauf de répondre à cette demande. Pendant plus d’une heure, nous avons pris le temps de leur présenter ce nom sans jamais l’évoquer. On savait surtout ce que l’on ne souhaitait pas : un nom ne commençant pas par une voyelle (comme toutes les structures culturelles du territoire : L’Arc, L’ECLA, L’Embarcadère, L’Eduen…) ; un nom facilement mémorisable par tous et toutes les générations ; un nom permettant la réalisation d’un logo reconnaissable par tous et pouvant changer de couleurs (identité caméléon) ; définissable en deux mots... Pourquoi C2 ? Parce que Centre Culturel !

Un pari osé au départ mais réussi à la fin, car cela nous a permis de créer une identité originale et forte sur un territoire déjà bien fourni en offres culturelles.

Cela pour dire que ce projet n’est pas celui d’une personne, mais d’une équipe au service d’une envie commune qui tente de répondre à une question simple mais essentielle aujourd’hui : quels objectifs le C2, Centre Culturel de la ville de Torcy, doit-il avoir pour demain ?

Mai 2015